S'il existe un consensus à propos du harcèlement, c'est que la prévention et la résolution des situations de harcèlement représentent un défi important pour les organisations. En effet, plusieurs éléments contribuent à rendre le harcèlement difficile à gérer.
Premièrement, le harcèlement est subjectif et est souvent basé sur des perceptions. Un même comportement peut être perçu différemment par différentes personnes. Il interpelle davantage les émotions que la raison notamment parce qu'il constitue une menace pour l'intégrité psychologique et l'identité de la personne. Pour ces raisons, le harcèlement est difficile à saisir et à définir. Comment peut-on en effet s'entendre sur une définition commune du harcèlement si un même comportement est perçu différemment par différentes personnes ? Parce qu'il est difficile à définir, le harcèlement est aussi difficile à prouver juridiquement.
Comment peut-on s'entendre sur une définition commune du harcèlement si un même comportement est perçu différemment par différentes personnes ?
Deuxièmement, le harcèlement est souvent entouré de silences, de non-dits, de sous-entendus. Les messages ne sont pas clairs; ils sont ambigus ou contradictoires. Une personne visée par des comportements harcelants peut tarder à le reconnaître, douter d'elle-même, se dévaloriser, avoir honte et vivre de la culpabilité. Elle finit par se demander ce qu'elle a bien pu faire pour mériter ça. Ce n'est pas de la faiblesse, c'est lié à la nature du harcèlement. De plus, dans certains cas, les collègues de travail soit ne le percevront pas, soit fermeront les yeux par crainte de représailles de la part de la personne abusive.
Troisièmement, le harcèlement est lié au pouvoir entre les individus et les groupes. Le pouvoir signifie forcer les autres à faire ce qu'ils ne choisiraient pas volontairement de faire. L'utilisation du pouvoir peut se manifester par une combinaison subtile de menace, d'intimidations et de coercition qui contribue à créer une atmosphère de peur et d'incertitude pour la victime à l'égard de sa sécurité, son intégrité, son bien-être, le développement de sa carrière ou son avenir.
Dans la majorité des cas, les valeurs, la morale, les lois ou l'éthique viennent encadrer et « civiliser » l'exercice du pouvoir. Mais la réalité et l'histoire nous enseignent que les dérapages sont possibles. Au niveau des peuples, cela se traduit par des guerres, des invasions, de l'esclavage ou des génocides. Au niveau individuel, l'exercice non civilisé du pouvoir peut se traduire par de la violence et par du harcèlement psychologique. En ce qui concerne le harcèlement, il est important de distinguer le pouvoir et l'autorité. Le pouvoir s'exerce entre les individus ou les groupes. L'autorité est liée à la hiérarchie entre les différents postes de l'organisation. Théoriquement, l'autorité devrait s'exercer entre les postes et non entre les personnes. La différence est subtile, mais importante. Nous y reviendrons.
Quatrièmement, il est parfois difficile pour la victime de briser le silence. Selon Hirigoyen, [1]la honte peut expliquer la difficulté qu'ont les victimes à s'exprimer. Comment en effet expliquer que l'on se sent maltraité depuis des années alors que l'on n'a jamais rien dit ? Comment se justifier à ses propres yeux que l'on n'a pas su réagir et se défendre à temps ? Comment expliquer aux autres pourquoi on réagit maintenant, après toutes ces années de silence ? La honte vient de ce qu'on n'a pas su (ou pu) réagir à temps.
Il est possible pour une personne d'utiliser un mécanisme de plainte formelle pour harceler une autre personne, d'où le paradoxe de la personne abusive jouant à la victime pour mieux parvenir à ses fins.
Bien sûr, selon la politique sur la prévention et la résolution du harcèlement, l'employé qui croit avoir été victime de harcèlement est encouragé à en faire part à l'autre partie aussitôt que possible afin de tenter de résoudre le problème. Dans les faits, cela peut représenter tout un défi, car la personne peut craindre :
Cinquièmement, il est parfois difficile de distinguer entre une vraie et une fausse victime de harcèlement, ou entre l'agresseur et l'agressé. En effet, il est possible pour une personne d'utiliser un mécanisme de plainte formelle pour harceler une autre personne, d'où le paradoxe de la personne abusive jouant à la victime pour mieux parvenir à ses fins, tout en continuant à solliciter l'estime et le soutien de son entourage. C'est ce qu'on appelle les plaintes vexatoires ou de mauvaise foi. Le profil de la « fausse victime » est bien décrit dans les livres de Marie-France Hirigoyen[2]. Nous y reviendrons.
Voilà l'essentiel du défi : prévenir et gérer un phénomène subjectif, lié à l'exercice du pouvoir, difficile à définir, difficile à identifier, difficile à prouver, même s'il s'est effectivement produit et difficile à réfuter, même s'il ne s'est jamais rien passé. C'est dans ce contexte d'incertitude que les gestionnaires doivent gérer leur unité de travail. Il est facile de comprendre que l'introduction d'une nouvelle politique puisse susciter des inquiétudes. Pour faire face au défi, il n'y a pas de solution magique. Il faudra développer nos connaissances et notre compréhension du harcèlement, prendre le temps d'en discuter, planifier notre stratégie de prévention et d'intervention et travailler en équipe.
[1] Hirigoyen, M,F, Malaise dans le travail : harcèlement moral : démêler le vrai du faux. Paris, La Découverte, 2004. p. 142
[1] Hirigoyen, Marie-France, le harcèlement moral; la violence perverse au quotidien, Gallimard, 1998, p.210
Gilles Lévesque
Psychologues Consultants Y2